samedi 27 septembre 2014

Vendanges

 

Sensation bizarre, ce matin je fus éveillé par la fatigue. 


Pourquoi le sommeil me fuyait si tôt ? Ma journée d'hier avait été pleine et dure à souhait. Huit heures consécutives m'ont vues couper le raisin, remplir les seaux et les vider dans la remorque du tracteur. Cinq cent kilos de Syrah pour une seule personne dans la même journée. Après les occupations du soir, c'est donc harassé et satisfait de mon labeur que je m'étais endormi.
Le jour n'est pas prêt de se lever, le réveil n'a pas fredonné et toi, fatigue, tu me bouscules alors que tu devrais tenter de me refaire une santé. Ce matin, je t'en veux de te coller à mon corps comme une tentacule gluante et moite. Me sachant oublié du sommeil et considérant ma nuit bien compromise, je me levai en douceur pour ne pas bousculer les rêves précieux de celle qui partage mes jours, mes nuits et nos courbatures.
Par la fenêtre béante, j'ai pu constater qu'il ne pleuvait pas. Quelques instants j'ai admiré un magnifique ciel étoilé. Ces constats n'arrangeaient pas ma fatigue, sans pluie, les vendanges reprenaient dès le lever du soleil. La journée serait épuisante, mais déjà je considérais ma fatigue avec condescendance, comme si celle-ci s'était vautrée à ma place, dans le lit douillet. Je la sentais, à la fois craintive et moqueuse dans mon dos, un rapide coup d'oeil vers mon oreiller, où je m'attendais à la voir, luciole avachie. Un instant j'ai cru la discerner, avant enfin, de me rendre compte que je fabulais.
Le temps d'un petit déjeuner sur la terrasse, malgré l'air frais de la nuit et ce petit vent qui fait bouger les arbres comme de sympathiques fantômes dans la lueur obscure de la presque pleine lune. Avec le frissonnement des grosses feuilles du mûrier platane qui s'agitent au dessus de ma tête, je me sens rassuré et heureux dans cet endroit familier.
Le passage à la salle de bains me rappela que mes genoux me faisaient mal, très mal. Enfiler les vêtements me rappela que mon dos avait souffert aussi, d'une journée accroupi-debout, encore et encore. Le passage des chaussures me rappela que les allées entre les vignes était couvertes de pierres anguleuses, mes arpions en étaient les témoins térébrants. Les cinq coups de la cloche de l'horloge du village me rappelèrent que dans un couple d'heures, on allait s'atteler à cueillir Grenache et Palomino, et que la journée serait épuisante.
Et puis cette douloureuse et volumineuse démangeaison qui handicape mon bras gauche à cause de la piqûre d'un insecte que je n'ai pas réussi à identifier ; sans doute une guêpe : mon corps fait des réactions spectaculaires chaque fois qu'il se  frotte à cette race de bestiole.

Il me restait une bonne heure à combler avant le réveil de mon amour. J'ai erré quelques instants puis j'ai vite retrouvé le chemin du clavier qui s'anime sous mes doigts. Les mots écrits, ceux qui sont là ; ceux que ce soir j'effacerai, je corrigerai pour tenter la liaison d'un potage pas trop indigeste.
Le cliquetis bruyant des archaïques touches du clavier, a eu raison du sommeil de ma douce moitié. Sa frimousse endormie apparaît au coin de la porte. C'est deux sourires qui se rencontrent : la journée s'annonce bien, malgré les douleurs réciproques ou collectives, je ne sais plus très bien. Après les tendresses d'usage, la vie reprend son cours.
Il nous restera à trouver ce dernier sursaut de volonté qui nous fera quitter la maison pour partir au labeur. Acheter le pain au passage, le trajet sera silencieux, puis retrouver les collègues et se remettre au travail. Très vite les mains, avec précision,  retrouveront leurs outils, le raisin remplira les seaux, les seaux rempliront les remorques, les remorques rempliront les cuves.
Plus tard le vin sera nectar, il remplira les bouteilles.
Ensemble, on le goûtera, on l'appréciera, on le partagera et la fatigue on l'ignorera.

Dd

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire