dimanche 28 septembre 2014

Honorine

Ma grand mère était une vielle dame laide et acariâtre. Par bravade, je plantais mes yeux dans son regard pervers et soutenais l'éternel rictus provocateur qui  laissait voir les quelques chicots de sa bouche haineuse. Pour parfaire le tableau, elle était affublée d'un zozotement qui égratignait mes oreilles. Par contre, la qualité et le bon goût de ses toilettes tranchait avec la difformité générale d'un corps voûté et tordu, même torsadé je crois ! Le déplacement, d'une vivacité inouïe pour une telle carcasse, jamais assistée d'aucun point de soutien, tenait presque du miracle et occasionnait des claquements et des grincements qui résonnent encore aujourd'hui à l'orée de mon oreille.

Je sais, peinte de la sorte, vous pensez que ma grand mère me détestait ! Eh bien non ! Elle m'adorait, et je tentais ou je faisais semblant, de lui rendre sa sollicitude à mon égard.
"Ne m'appelle pas grand mère, appelle moi Honorine ou Norine si tu préfères" me disait-elle à chacune de mes visites.

En ce Mercredi d'Avril, alors que je pénétrais dans la propriété d'Honorine de Beauregard, une galopade suspecte me fit sursauter. Je stoppai net et l'ouïe aux aguets, j'entendis nettement le bruit d'une chute suivie d'un cri douloureux. Je me précipitai à l'intérieur de la maison en hurlant "Honorine". C'est en pénétrant dans le grand salon que je la découvris. Elle gisait sur le tapis Persan, une grosse tâche de sang entourait son corps. Je m'approchai doucement, trop inquiet pour toucher un cadavre ainsi vrillé sur le sol. Je m'assis dans le canapé, les coudes posés sur les genoux et la tête enfouie dans les mains, je me mis à pleurer.
C'est alors qu'un grognement suidé fit trembler mon tympan. C'était Honorine qui émergeait d'entre les morts, c'est du moins ce que je pensai à cet instant. Elle me vit et me fit signe d'approcher. Elle cracha un morceau rouge sanguinolent. Articulant difficilement, elle me donna l'ordre de courir à la proche gendarmerie et de ramener les forces de l'ordre en faisant attention de ne pas tomber sur les voyous qui l'avaient agressée. Je vis du sang couler abondamment au coin de sa bouche, lui portai un mouchoir et l'aidai à s'asseoir sur une chaise. Avant de quitter les lieux, je captai son regard, il était triomphant et le rictus était presque un sourire.

Environ une heure plus tard, de retour avec les gendarmes, on entendait des hurlements et des ricanements bien avant de pénétrer dans l'enceinte de la propriété.

Dans le grand salon, ma grand mère, armée d'un fouet de vacher lacérait lourdement le dos de deux gaillards saucissonnés à même le sol.

Le premier souffre d'une fracture à la jambe gauche, d'une deuxième fracture à l'avant-bras droit et de nombreuses coupures et hématomes, le second a dû subir une greffe : il lui manquait une joue entière.

Dd

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