Ne me demandez pas pourquoi, mais
j'aime les dimanches à Paris. Tous les jours je les regarde de
là-haut et en ces fins de semaines, ces humains qui vaquent à leurs
loisirs, quoique très concentrés sur leur seul nombril, je les trouve pathétiques et
attachants et j'en roucoule de plaisir.
Moi qui suis, non pas colombe, mais
seulement tourterelle, un peu voleuse, espiègle et paresseuse, je
passe mes journées à les observer en silence. Mes amies et moi-même
avons l'œil vif et l'oreille attentive, rien ne nous échappe, nous
pourrions facilement devenir auxiliaires incontournables de la police d'en bas,
mais nous sommes contraintes à les regarder se dépêtrer dans leur
médiocrité.
Informées qu'une grande manifestation
devait avoir lieu, nous nous étions rassemblées au dessus du
quartier. L'après rassemblement spontané, pour défendre un journal
que nous étions presque les seuls à lire et qui nous faisait même rire
quelques fois, allait nous fournir la quantité de nourriture
nécessaire à notre progéniture pour bonne partie de l'hiver.
En ce dimanche festif, tels les moutons
derrière leurs bergers et leurs chiens de garde, ils s'étaient coalisés très nombreux pour se protéger des méchants loups
échappés de leurs réserves. A leur tête se démenaient des petits
hommes en bleu ou en noir. Ceux-là même qui furent incapables
d'empêcher les odieux massacres de victimes innocentes étaient tous
présents, se poussaient du coude, tendaient le cou vers les caméras
afin de profiter au maximum de l'instant qui va leur permettre un peu
de gloire. Pauvres Tartarins, pensait la tourterelle !
Du haut de notre envol une envie
nauséeuse remonta le long de nos gésiers. Nous nous consultâmes
sur l'opportunité de jeter quelques fientes sur ces visages
faussement contrits, tendus vers le ciel. L'une de nous proposa de
faire appel à nos voisins les étourneaux, grands spécialistes de la recoloration des peintures murales, toujours massés par plusieurs
dizaines de milliers sur les perchoirs environnants. Ils auraient pu nous être d'un précieux secours pour bombarder et mettre en déroute cette engeance oligarchique profiteuse et récupératrice. Hélas, si la
marche des anonymes se poursuivait, celle des Tartarins bifurquait
après quelques centaines de mètres, bien encadrée par une meute
sécuritaire en armes.
Ce sont d'ailleurs les armes qui
garnissaient les mains des veilleurs perchés sur les toits qui nous
dissuadèrent de jouer une partie de paintball avec ceux d'en bas.
Ces connards étaient bien capables de nous tirer comme de vulgaires
pigeons. Nous nous sommes donc repliés prudemment vers nos bases
aériennes.
Entretenant depuis plusieurs années
des relations amicales avec un des nombreux cuisiniers officiant au Palais du souverain, je savais qu'à l'issue de la collation qui n'allait pas
manquer d'avoir lieu, nous pourrions nous régaler des agapes que ces
chasseurs de fauves ne manquent jamais de laisser derrière leur
bedonnante suffisance.
Tous les volatiles que je connais, ceux
ayant vu et ceux ayant ouï l'horreur de la funeste journée ayant précédé ce grand rassemblement, en
sont très, très attristés. Particulièrement pour les victimes
collatérales, volontairement oubliées, totalement étrangères et
d'autant plus innocentes.
C'est à ces innocents, morts
injustement, que je dédie cette petite fable, au nom de toutes les
tourterelles surveillant l'espace aérien français.
Dd