mardi 20 janvier 2015

La tourterelle empathique


Ne me demandez pas pourquoi, mais j'aime les dimanches à Paris. Tous les jours je les regarde de là-haut et en ces fins de semaines, ces humains qui vaquent à leurs loisirs, quoique très concentrés sur leur seul nombril, je les trouve pathétiques et attachants et j'en roucoule de plaisir.
Moi qui suis, non pas colombe, mais seulement tourterelle, un peu voleuse, espiègle et paresseuse, je passe mes journées à les observer en silence. Mes amies et moi-même avons l'œil vif et l'oreille attentive, rien ne nous échappe, nous pourrions facilement devenir auxiliaires incontournables de la police d'en bas, mais nous sommes contraintes à les regarder se dépêtrer dans leur médiocrité.
Informées qu'une grande manifestation devait avoir lieu, nous nous étions rassemblées au dessus du quartier. L'après rassemblement spontané, pour défendre un journal que nous étions presque les seuls à lire et qui nous faisait même rire quelques fois, allait nous fournir la quantité de nourriture nécessaire à notre progéniture pour bonne partie de l'hiver.
En ce dimanche festif, tels les moutons derrière leurs bergers et leurs chiens de garde, ils s'étaient coalisés très nombreux pour se protéger des méchants loups échappés de leurs réserves. A leur tête se démenaient des petits hommes en bleu ou en noir. Ceux-là même qui furent incapables d'empêcher les odieux massacres de victimes innocentes étaient tous présents, se poussaient du coude, tendaient le cou vers les caméras afin de profiter au maximum de l'instant qui va leur permettre un peu de gloire. Pauvres Tartarins, pensait la tourterelle !
Du haut de notre envol une envie nauséeuse remonta le long de nos gésiers. Nous nous consultâmes sur l'opportunité de jeter quelques fientes sur ces visages faussement contrits, tendus vers le ciel. L'une de nous proposa de faire appel à nos voisins les étourneaux, grands spécialistes de la recoloration des peintures murales, toujours massés par plusieurs dizaines de milliers sur les perchoirs environnants. Ils auraient pu nous être d'un précieux secours pour bombarder et mettre en déroute cette engeance oligarchique profiteuse et récupératrice. Hélas, si la marche des anonymes se poursuivait, celle des Tartarins bifurquait après quelques centaines de mètres, bien encadrée par une meute sécuritaire en armes.
Ce sont d'ailleurs les armes qui garnissaient les mains des veilleurs perchés sur les toits qui nous dissuadèrent de jouer une partie de paintball avec ceux d'en bas. Ces connards étaient bien capables de nous tirer comme de vulgaires pigeons. Nous nous sommes donc repliés prudemment vers nos bases aériennes.
Entretenant depuis plusieurs années des relations amicales avec un des nombreux cuisiniers officiant au Palais du souverain, je savais qu'à l'issue de la collation qui n'allait pas manquer d'avoir lieu, nous pourrions nous régaler des agapes que ces chasseurs de fauves ne manquent jamais de laisser derrière leur bedonnante suffisance.
Tous les volatiles que je connais, ceux ayant vu et ceux ayant ouï l'horreur de la funeste journée ayant précédé ce grand rassemblement, en sont très, très attristés. Particulièrement pour les victimes collatérales, volontairement oubliées, totalement étrangères et d'autant plus innocentes.
C'est à ces innocents, morts injustement, que je dédie cette petite fable, au nom de toutes les tourterelles surveillant l'espace aérien français.

Dd

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